La traversée du Congo
La traversée du Congo à vélo effraie beaucoup de cyclistes. Pourtant, en ce qui me concerne, elle aura été un événement majeur de mon voyage en Afrique à vélo. Si on s’y sent, cela vaut vraiment le coup de la tenter.
Je suis entré au Congo par Uvira, au Sud Kivu. La ville fait frontière avec le Burundi et Bujumbura est à 25 kilomètres. J’ai pris le bateau pour Kalémie sur le Lac Tanganyika. Puis je suis resté sur la même latitude jusque Kinshasa.
Mon passage à vélo dans des villages où les Occidentaux ne se rendaient plus depuis des années m’a donné le statut de témoin privilégié. J’ai été accueilli comme tel par des habitants qui avaient un désir immense de parler, d’écouter, d’échanger. J’ai senti qu’il pouvait être important de tenter de raconter. J’ai décidé d’écrire presque au quotidien, au fil des découvertes et des déséquilibres des rencontres.
Chaque jour, des Congolais.e.s m'ont parlé du coeur
Ils/Elles m'ont demandé de transmettre aux Blancs. Je ne sais pas bien avec quel espoir ou quel désir. Une accoucheuse, un chef de village, un directeur d'école racontent comment ça va.
Le rayonnement fâcheux des puissances
Sans cesse, j’étais interpellé par les Congolais pour que « les Belges reviennent au Congo ». Cet appel avait une force telle que j’en étais bouleversé et parfois fatigué. Cet appel continue à me questionner.
Les pistes, c'est du costaud
Franchement, ce n'est pas facile pour ceux qui aiment rouler allègrement. Il vaut mieux dire avec le vélo que à vélo car il faut souvent le pousser. Mais au moins on ne souffre pas seul car tout l'intérieur est approvisionné par des cyclo-transporteurs courageux.
Fuir par mille fragments (Tour d'Afrique, 2009-2010)
1 janv. 2010
Sud Kivu - Katanga
Je quitte les Sœurs de Bujumbura et leur gentillesse sous la drache. Je suis transi de sentiments confus. J’ai des angoisses par les drames qui se déroulent aujourd’hui encore au Kivu. Je me réjouis de rencontrer les Congolais.
4 janv. 2010
Katanga (1)
Kalémie est une ville portuaire reliée par le Lac Tanganyika au Burundi, à la Tanzanie et à la Zambie. Des bateaux y débarquent leurs marchandises qui partent par rail ou par route approvisionner les villes et les villages de l’intérieur.
Je prends la route vers Nyunzu. Il s’agit, en réalité, d’une piste qui convient aux vélos mais pratiquement impossible pour les 4X4 ou les camions. Je découvre progressivement que je suis accompagné par des centaines de cyclistes qui, comme moi, pénètrent à l’intérieur du Congo.
7 janv. 2010
Katanga (2)
Surprise ! Je découvre sur la piste un camion, évidemment enlisé dans une situation épouvantable. Le petit monde du véhicule place des troncs pour remblayer les trous et amène de la terre pour consolider la route qui s’affaisse. A quelques pas de cette effervescence, le cuisinier coupe des feuilles de manioc pour préparer le repas.
11 janv. 2010
Katanga (3)
Je retrouve à Kongolo le petit monde du camion que j’ai dépassé quelques jours auparavant. Le propriétaire du véhicule est un Congolais de la province du Kasaï qui vient de vivre plusieurs années en Belgique. Ce trajet en camion est une épreuve de force. « Je suis très étonné de l’état de mon pays, me dit-il. Ce voyage est un défi. Tout le monde m’a découragé d’entreprendre ce trajet. En traversant les villages, je veux montrer que c’est possible ».
15 janv. 2010
Katanga - Kasaï oriental
La peinture blanche aujourd’hui salie par le temps, le ciment qui fait tenir les édifices, les toits en tôle ondulée signent une distance avec les maisons en terre et leurs couvertures de paille.
Je loge à côté de l’église, dans ce qui fut un jour un couvent. Douze cellules, un réfectoire et une salle d’eau reliés par un portique entourent une cour intérieure. Je suis au calme dans cette architecture qui m’est familière, comme elle l’est certainement à tout Européen.
23 janv. 2010
Kasaï oriental
La piste qui quitte Kabinda est à nouveau sableuse. Je passe une journée en demi-teinte, souffrant de pousser le vélo et profitant des paysages vallonnés. Je prends mon temps.
Le soir, j’installe mon bivouac dans le village de Mwemba-Mitama où je rencontre Gilbert. A chacune de ces rencontres, je découvre des strates supplémentaires et singulières de la déroute récente des Congolais, leur faculté de rebondir et d’attraper au vol le courage tombé d’on ne sait où.
31 janv. 2010
Kasaï occidental (1)
Henri boîte alors que je remonte avec lui du Lac Munkamba vers le village où une de ses amies nous attend pour souper. Malgré son handicap, il a l’allure rapide et décidée, semblable à sa voix et ses paroles qui veulent aller de l’avant. Son ton n’est, pour autant, ni prophétique, ni révolutionnaire.
6 févr. 2010
Kasaï occidental (2)
Quelques fragments de l’histoire de la Belgique viennent se déposer en moi, tel un chaos de particules qui se condensent localement dans le corps, donnent une impression de chaleur ou de blessure, refroidissent un membre, relancent à rebours le tractus digestif jusqu’à la gorge ou mettent aux aguets les conduits auditifs.
15 févr. 2010
Bandundu
Paul et Jean sont venus s’accrocher à mon voyage, ou moi au leur, je ne sais plus. Le lendemain, Martin et Léonard nous ont rejoints. Je crois que la jonction s’est faite à l’ombre d’un arbre, alors que nous négocions avec les mamans un repas de bord de route. Le matin, nous sommes repartis à cinq. Tout cela s’est fait spontanément.
8 mars 2010
Bandundu - Kinshasa
Les habitants du village de Kizamba où j’ai passé la nuit semblent unanimes. Mieux vaut prendre la piste parallèle à la route principale. Elle est moins sableuse et elle n’est pas creusée par les roues des véhicules et la pluie.
Je quitte Kizamba sur une longue ligne blanche qui disparaît à l’horizon. Deux heures plus tard, je suis perdu dans la savane du Bandundu.