| Olivier Croufer | République démocratique du Congo
Egaré dans le Bandundu
Avec le temps…
Le « merci » profond et ému qu’un homme nous adresse est toujours un événement troublant par ce qu’il révèle de majeur.
Nous sommes à Kenge. Comme beaucoup de villes congolaises, les traces de la présence d’une autre époque sautent à l’œil. Des fragments de route asphaltée viennent s’effondrer dans le ravin qui conduit au centre-ville. L’alignement des manguiers laisse deviner une avenue qui n’est plus, mais que confirment les maisons de ciment encore debout.
« Le Congo s’est effondré sur tous les plans. Depuis 50 ans, nous attendons un redressement. » Le dialogue que j’ai eu avec ce vieux directeur d’école a rassemblé des morceaux qui expliquent l’écroulement. Nous avons agencé des traits qui donnent de l’espoir. Les raisons évoquées étaient intéressantes, mais elles n’avaient rien d’original.
Alors, qu’est-ce qui a fait naître un tel « merci » ?
Une fois de plus, cette rencontre exprime le désir de nombreux Congolais d’avoir des interlocuteurs. Ma présence n’est précieuse que parce qu’elle est celle d’un étranger qui vient ouvrir une brèche dans des univers qui se sont repliés sur leur détresse.
Ce « merci » qui m’était adressé dépasse cette rencontre singulière. Nourri par l’âge qui monte dans le corps de cet homme, il fait écho à tous ces appels d’une population qui, comme le temps, poursuit aussi son chemin de maturité.
En déliquescence vers Kinshasa
Je descends des collines vers la plaine du fleuve Congo sous une pluie diluvienne qui ne veut pas cesser. Un maillon de la chaîne de mon vélo se bloque à plusieurs reprises et je crains la rupture. Je suis tendu. Je m’arrête sous ce déluge pour huiler la chaîne, mais elle ne veut pas devenir plus fluide.
J’entre progressivement dans Kinshasa crispé par l’effervescence croissante de la ville. L’asphalte s’arrête. Les véhicules me servent d’éclaireurs pour le passage des flaques dont il est difficile de prévoir si elles ne recouvrent pas un fossé. Les 4 X 4 s’enfoncent jusqu’au moteur. Je me retrouve à pousser le vélo avec la flotte noire jusqu’au mollet. J’ai peur pour mes blessures à la jambe qui ne sont pas cicatrisées.
J’hésite à m’arrêter. Aurai-je le courage de remonter en selle ? J’ai besoin d’une pause. Je m’abrite auprès d’une vendeuse de bananes et d’arachides entre les fuites d’eau du toit en tôle. J’offre des bâtons de manioc à un garçon qui a faim.
Je remonte sur le vélo. La drache ne faiblit pas. Je déboule sur le boulevard du 30 juin en chantier. Je ne sais plus si les véhicules roulent à gauche ou à droite. Je roule quand même à droite. Quel chaos. J’aimerais franchir le fleuve, rejoindre l’autre rive, réfléchir tranquillement à ce Congo que je viens de traverser et aimer.