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Cartographies

L'appel de Congolais

 |  Olivier Croufer  |  République démocratique du Congo

Sans cesse, j’étais interpellé par les Congolais pour que « les Belges reviennent au Congo ». Cet appel avait une force telle que j’en étais bouleversé et parfois fatigué. Cet appel continue à me questionner.

Comme je le faisais dans mes rencontres, il me semble utile de revenir sur cette relation Belgique - Congo au temps de la colonisation. Quels étaient les ressorts de ce dynamisme d’antan ? Comment rétablir une relation qui ne reproduise pas les ratés de notre histoire commune ?

Une vitalité économique pour la métropole

L’économie servait de catalyseur aux relations entre le Congo et la Belgique. Des minerais (le cuivre, l’étain, le diamant…) et des productions agro-industrielles (coton, huile de palme, café, thé…) étaient exportés vers l’Europe. La Belgique vendait sur le marché congolais des produits manufacturés.

Ce dynamisme était porté par nombre d’investisseurs privés et publics, des entrepreneurs et des banques. Des entreprises d’autres pays européens s’investissaient également. Le groupe néerlandais Unilever possédait au Congo un domaine deux fois grand comme la Belgique.

Certes, cette vitalité impressionne. Elle a introduit au Congo des infrastructures industrielles, des machines, des savoir-faire dans la gestion des entreprises, des chemins de fer. Tout cela est attirant de modernité et les plus âgés des Congolais que j’ai rencontrés aiment se souvenir de cette époque.

Mais, la logique qui présidait à ces activités se composait mal avec les populations locales. Les économistes la qualifient « d’économie extravertie » : elle s’organisait essentiellement par et pour des acteurs extérieurs aux Congolais eux-mêmes. Les dividendes des entreprises retournaient aux investisseurs européens, les productions étaient orientées vers les besoins de la métropole, les infrastructures de transport visaient à écouler les marchandises vers les ports à destination de la Belgique, peu d’efforts ont été faits pour que les Congolais occupent des positions de cadres.

Comment déployer sa puissance

Quelques nations européennes se sont créé des empires en Afrique : la France à l’Ouest et au centre, l’Angleterre sur une bande s’étirant de l’Egypte à l’Afrique du Sud.

Ces empires ont permis d’étendre la puissance de ces pays au-delà de leur territoire. Ces conquêtes ont alimenté les économies des métropoles, elles ont tracé des routes commerciales vers l’Inde, elles ont exporté des systèmes de transmission des savoirs en mettant en place des écoles et elles ont apporté des représentations spirituelles du monde avec les religions.

Déployer sa propre puissance, c’est suivre sa ligne de vie. Qu’un pays irradie de ce dont il est capable est dans l’ordre des choses. Le problème éthique et politique est une splendide question de composition de rapports. Le défi – difficile mais humainement passionnant - est de composer les puissances pour que le rayonnement des puissances de l’un permette la réalisation des puissances de l’autre.

J’ai rencontré beaucoup d’enseignants au cours de cette traversée et j’aimais réfléchir avec eux sur leur situation. Je partais à la recherche des forces de leur action malgré leur découragement.

Le pouvoir colonial belge a voulu « civiliser ».  En matière d’école primaire, on peut parler d’une certaine réussite puisque 33 % de la population congolaise y avait accès au moment de l’Indépendance. C’était un très bon taux en regard des autres pays africains.

Par contre, il y avait peu d’écoles secondaires et le parcours scolaire s’arrêtait au primaire. Comme dans le domaine économique, on a l’impression que le développement de la puissance coloniale cherchait trop peu à s’adosser au déploiement des capacités congolaises à construire leur société.

Développer : Que rencontrer ? Qui rencontrer ?

A l’instar du passé, les logiques d’aujourd’hui ont de la noblesse : rétablir la sécurité, améliorer la gouvernance, réduire la pauvreté, réhabiliter les infrastructures ou développer l’économie.

Certes, tout le monde est d’accord qu’il faut tenter de réaliser ces objectifs et les Congolais demandent des routes ou que la paix soit rétablie dans leurs villages. Pourtant, le constat d’échec souvent répété par les experts devrait nous alerter et une réflexion sur l’histoire de la colonisation belge porte des enseignements.

La réalisation de ces objectifs de développement n’est profitable que si elle se déroule dans le contexte d’une rencontre singulière. Il faut passer du temps pour rassembler une diversité d’acteurs concernés, l’Etat ou les associations locales, prendre du temps pour écouter les conflits locaux et les espérances, essayer de comprendre les logiques, découvrir les savoir-faire des personnes.

Face aux échecs des kits tout préparés des instances internationales, de plus en plus d’experts recommandent d’aller dans cette voie. Ces méthodes font écho au style qui a guidé mes contacts avec les Congolais.

Dans chacune des rencontres, les habitants me manifestaient leur joie. J’en étais souvent très surpris. Il y a souvent chez eux un découragement et je comprends qu’un étranger qui leur manifeste de l’attention soit bien accueilli. Mais j’ai surtout senti, qu’après des années marquées par tant de difficultés, une maturité gonflait dans les villages. Celle d’un désir de paix, d’un désir d’apprendre, d’un désir de partager.

Ces désirs ne peuvent exister qu’en passant par des rencontres à chaque fois singulières. C’est que j’ai compris de l’appel des Congolais. Ils demandent notre présence.