Katanga - Kasaï oriental
| Olivier Croufer | République démocratique du Congo
Un jour, un cloître
La peinture blanche aujourd’hui salie par le temps, le ciment qui fait tenir les édifices, les toits en tôle ondulée signent une distance avec les maisons en terre et leurs couvertures de paille.
Je loge à côté de l’église, dans ce qui fut un jour un couvent. Douze cellules, un réfectoire et une salle d’eau reliés par un portique entourent une cour intérieure. Je suis au calme dans cette architecture qui m’est familière, comme elle l’est certainement à tout Européen.
Le cloître n’est plus habité. Il sert occasionnellement de logement de passage. J’occupe, seul et dans le silence, une cellule de ce lieu déserté.
Le père Gilles qui bâtit ces édifices est retourné à Bruxelles, quelques années plus tôt, où il est mort en 2008. Je compte le temps depuis son départ au regard de la détérioration progressive des bâtiments. J’estime une dizaine d’années.
Il est parti avec son énergie, ses techniques, ses convictions. Son absence marque à quel point son enthousiasme était en décalage avec les hommes d’ici.
Au crépuscule, les deux prêtres qui occupent le bâtiment paroissial à côté de l’église m’invitent à partager leur repas. Ils me racontent le massacre des vingt et un missionnaires belges de Kongolo en 1963. Leur photo se détache péniblement sur le mur nu de la pièce plongée dans la pénombre. Le père Gilles est un des rescapés.
Dans cette lumière blême, en compagnie des deux prêtres de ce décor surréaliste, je plonge ma main dans la casserole de foufou* qu’accompagne un ragoût de singe amené par un fidèle.
Allons
Je m’enfuis de la ville de Lubao qui m’a transmis son poids, son enclavement, ses souffrances. Garder de l’énergie et de l’enthousiasme est un exercice quotidien dans ce monde accablé.
Chaque moment de joie ressentie devrait être sacralisé comme une conquête d’existence héroïque.
J’essaie de détecter les forces de chacun dans ces strates chaotiques. Cette écoute nécessite une concentration qui mobilise une énergie dont je ressens toute l’intensité. J’aime le faire. Mais aujourd’hui je suis fatigué. J’ai envie de fuir, de m’en aller sur la Terre, mon amie. La piste est sableuse, je dois sans cesse descendre du vélo, je ne retrouve pas le rythme cycliste dont j’ai besoin. Je sais, qu’un jour, la piste redeviendra fluide. Il faut avancer, marcher, pousser, y aller.
Dialogue anticorruption
Quelques verts chaque fois agencés différemment servent d’assise au filet rouge de la piste et au bleu infini de la lumière où circule le petit vélo. En passant dans le corps, la raréfaction des couleurs va de pair avec la simplification et la précision des affects. Je n’éprouve que de la sérénité et une douce joie.
J’arrive à Kabinda de bonne humeur. Comme dans chaque ville, je suis pris en charge par les services de sécurité. Impossible d’y échapper, il me faut passer par l’A.N.R.* et la D.G.M.*. Ils suivent mes étapes et il m’arrive de les trouver à m’attendre à l’entrée de la ville.
Ma rencontre avec la D.G.M. prend la tournure d’un dialogue entre le Congo et la Belgique par l’entremise des humbles protagonistes qui y prennent part, un fonctionnaire et un touriste. La D.G.M. veut me faire payer 100 US $, une somme dont je ne sais si elle est légale. Je centre surtout la discussion sur la difficulté de voyager s’il faut payer de tels montants dans chaque ville congolaise.
« J’entends dans chaque village une demande pour que des Belges reviennent au Congo. Ils ne reviendront pas s’ils doivent affronter des tracasseries financières »
- Ce ne sont pas des tracasseries, corrige le fonctionnaire. Je fais appliquer la légalité. J’ai reçu des instructions de ma hiérarchie.
- Soit ! Vous êtes dans la légalité, vous obéissez à votre hiérarchie. De ce point de vue, votre attitude semble juste. Mais si nous réfléchissons à l’avenir du Congo et si vous souhaitez que des étrangers s’y investissent, ces paiements sont des tracasseries qui découragent ».
La conversation a duré deux heures. Gagner ou perdre ces 100 US $ m’importait moins que de développer entre nous une puissance de dialogue qui permette à chacun de poser ses problèmes. Je ne sais l’impact de telles rencontres, mais j’y tiens tellement.