Les ancêtres enclavés (2012)
Rien de particulier ne m'appelait au Congo lorsque j'y suis entré pour la première fois à vélo le 1er janvier 2010. Pourtant cette traversée du Congo allait profondément me troubler. A la différence des pays où le voyageur n'est qu'un homme de passage, les habitants du Congo m'interpellaient sur un arrêt. Ils m'interrogeaient sur un retour, une présence à leur côté qui se manifesterait à nouveau. J'étais installé dans une constellation familiale en tant que "frère" ou "oncle", et ce d'autant plus que j'étais Belge. J'allais être entraîné sans y prendre garde dans une histoire, ou plutôt une myriade de petites histoires qui questionnaient, sans cesse, un rapport dont les termes restent imprécis : Nord et Sud, colons et Congolais, bonheur et souffrances...
J'ai décidé d'y retourner en 2012 en choisissant d'emblée un parcours difficile. Entré par Bangui en Centrafrique, j'ai rejoint le fleuve Congo avant de m'enfoncer en bicyclette dans la forêt tropicale. Toujours, j'ai été accueilli avec respect et un intense souci du visiteur. Plus ou moins isolés de notre monde, ces villages forment des enclaves culturelles qui invitent l'homme de passage à réfléchir à sa propre civilisation et aux rapports qu'elle pourrait nourrir avec les autres.
Les ancêtres enclavés (RDC, 2012)
5 sept. 2012
Aspirations
Elle flottait, trop vague, trop volatile. Très libre somme toute. J'aimais qu'elle ne prenne ni la forme d'un visage, ni celle d'un paysage. Elle s'élevait, hésitante. J'avais envie de la respecter.
5 sept. 2012
Compagnons de piste
La circulation se fait à bicyclette. Éventuellement à moto. Plus rarement, quand la piste est suffisamment bonne, au moyen de camions chargés au maximum de ce que la hauteur peut tolérer avant que ne s'opère une rotation sur l'axe central et un basculement sur le flanc.
5 sept. 2012
Passages vers la nuit
Quelques pièces du chargement de Jacques étaient tombées dans une des flaques qui font de la piste un slalom géant pour les vélos. Je l'aide à les ramasser. Il avait toutes sortes de bricoles, des médicaments, le paquet le plus pesant contenait vingt-cinq savons méthodiquement rangés. Il retournait dans son village après une semaine de route pendant laquelle il aura gagné quelques sous de ce petit commerce.
5 sept. 2012
Soins au village
Il existe une répétition quotidienne. Celle de la recherche d'un échange généreux. Je bifurque à la vue d'une croix rouge peinte sur le pisé d'une case. Élétaire m'accueille avec des éclats de joie dans la voix. Ceux-ci doublent et triplent d'amplitude quand il apprend que je suis Belge. Plus tard, je me rendrai compte qu'Élétaire sait s'étonner de chaque rencontre.
5 sept. 2012
De l'enfer au paradis
Les sentiers villageois passent parmi les habitants et j'avais pris l'habitude de m'arrêter dans chaque village pour les salutations réciproques. Sauf à Boso-Gope que je traversai d'une traite. J'avais pénétré la forêt et la piste assez roulante constituait un tunnel dans lequel je prenais plaisir à me précipiter. Dès la sortie du village, une horde de voix s'est lancée à ma suite.
5 sept. 2012
Une mission engloutie
On m'avait annoncé une mission catholique depuis plus de cent kilomètres comme s'il s'agissait d'un repère utile à la fois à mon voyage et à mon existence. Et soudain au bout de l'enfilade des cases en pisé, des briques rouges et des bâtis volumineux. Une église, une procure, une école, les éléments symboliques de l'installation missionnaire dans la forêt : convertir, administrer, éduquer.
5 sept. 2012
Forêt intérieure
Dans la pâte verte de la forêt tropicale, le soleil est devenu puissance d'arrière-monde. Mon tempérament m'incline à préférer sa présence pure, dans le désert notamment, quand il ne laisse vivre qu'un fragile filament végétal sur la Terre. Je me sens alors plus proche de ma condition d'être humain, délicat corpuscule en transit vers le monde minéral.
5 sept. 2012
Soudain la ville
Les villes m'inspirent parfois un sentiment désolant que je n'éprouve jamais dans les villages. Un député m'explique la ville "enclavée". Plus aucun véhicule n'arrive à Ikéla depuis 12 ans.
5 sept. 2012
Vertus du paysage
Sylvain m'entraîne à vive allure depuis deux jours. Il reste 115 km pour Lodja. "Faisable en une journée", me dit-il. Je doute absolument car je n'ai jamais atteint un tel kilométrage sur ces pistes ravinées.
5 sept. 2012
La communauté enclavée
Le mot "enclavé" qu'ils utilisaient si souvent pour désigner leur territoire me semblait avoir un sens lié au commerce. Il signifiait l'absence de routes et l'éloignement du fleuve Congo par lesquelles pouvaient s'écouler les marchandises agricoles ou arriver des produits essentiellement importés. "L'enclave" enveloppait aussi un imaginaire sur son au-delà, où régneraient un confort et une aisance de paradis.
5 sept. 2012
Sur un horizon de savanes
Je quitte Lusambo irrité par les exhortations des habitants à ce que j'intervienne dans la reconstruction d'un pont devenu précaire. Je ne suis pas un miracle et, surtout, l'inadéquation incroyable de leur demande à mon égard m'exaspère.