Skip to main content
Récit de voyage

Kasaï oriental

 |  Olivier Croufer  |  République démocratique du Congo

Suites d’une bérézina

 
Dessin de Frédéric Hainaut. Jungle 8

La piste qui quitte Kabinda est à nouveau sableuse. Je passe une journée en demi-teinte, souffrant de pousser le vélo et profitant des paysages vallonnés. Je prends mon temps.

Le soir, j’installe mon bivouac dans le village de Mwemba-Mitama où je rencontre Gilbert. A chacune de ces rencontres, je découvre des strates supplémentaires et singulières de la déroute récente des Congolais, leur faculté de rebondir et d’attraper au vol le courage tombé d’on ne sait où.

Gilbert est Luba, un des grands groupes ethnolinguistiques du Congo. Les Luba vivent essentiellement au Kasaï que je traverse actuellement.  Comme beaucoup de ses frères, il a vécu au Katanga, la province située plus au Sud, riche en minerais. Il a travaillé à la fameuse Gecamines* à Likasi.

Début des années nonante, la déconfiture du Congo s’accélère. En 1991, l’armée, sans le sou, pille les grandes villes. Au Katanga, la paupérisation prend la forme d’un conflit ethnique et les Luba qui occupent des positions économiques plus favorables sont attaqués. En 1992, des pogromes anti-kasaïens explosent à Likasi, Gilbert est chassé de son travail et prend son baluchon pour retourner dans un village qu’il n’avait jamais connu.

Aujourd’hui, Gilbert est cultivateur à Mwemba-Mitama. Quant à la production de cuivre, dont la Gecamines était l’emblème, elle est passée de 1988 à 1993 de 465 000 à 48 400 tonnes.

Une case pour dormir

 

Je m’arrête à Tshilenge, une commune dont l’apparence et les activités économiques lui donnent un caractère de petite ville. Je me dirige vers une des cabanes de tôles qui bordent la piste. Elle abrite un commerce de recharge d’unités téléphoniques.

Willy me propose une chaise dans laquelle je m’enfonce une heure durant, contemplant intérieurement ma fin de journée.

Plus tard, sa femme me prépare la bassine d’eau et le savon pour me rafraîchir entre les pans de bambous du coin d’eau.

Jeanne me prépare aussi le foufou*, accompagné de fretin* aux graines de calebasses et de feuillages.

La nuit, je dors dans la petite case en terre qui abrite une paillasse que je partage avec Willy. Jeanne s’en est allée dormir ailleurs car c’est dimanche et jour de repos pour la sexualité comme l’a recommandé le directeur de conscience de leur Eglise.

Les images importées

Dessin de Frédéric Hainaut. Jungle 9

Je suis toujours dans la ville de Mbuji-Mayi que je pousse déjà mon vélo, découragé dès le début de la journée. Le soleil est blanc et aucun nuage ne vient gêner sa lumière qui vient buter contre le sable. La chaleur suinte du sol où mes pieds s’enlisent alors que j’ai envie de glisser sur une route noire, déporté par les virages et par le vent.

La surprise vient dans l’après-midi. Sous une paillote, quelques hommes boivent des bières, ce qui est inhabituel dans ces villages où le transport de ces bouteilles se fait fastidieusement grâce au vélo. Je demande un sucré*, ils n’ont que de la bière. Je suis saoul après deux gorgées. J’apprends que le thermomètre est monté à 40 degrés. Je m’enfonce dans un état léthargique.

Profitant de ma venue, on décide de projeter un film. A la tombée de la nuit, l’un va chercher un groupe électrogène, un autre s’occupe de la collecte  pour l’essence, on sort l’écran téléviseur et le vidéodisque. Les cinq chaises en plastiques, installées à bonne distance de l’écran au point de rendre les dialogues inaudibles, se trouvent bientôt entourées d’une centaine de personnes puis cent cinquante…

Les corps, debout, sont tendus vers le petit écran, les yeux sont fascinés, emportés par la magie. Le silence n’est brisé que pour nommer les objets étrangers au village, mais dont quelque habitant a appris l’existence par un chemin singulier dont il fait profiter les autres. Alors, un sachet de courses se déchire parmi le défilé des images et, dans l’assistance, une voix jouit de ce qu’elle reconnaît : « du lait ».