Skip to main content
Récit de voyage

Sud Kivu - Katanga

 |  Olivier Croufer  |  République démocratique du Congo

Bujumbura – Uvira

Je quitte les Sœurs de Bujumbura et leur gentillesse sous la drache. Je suis transi de sentiments confus. J’ai des angoisses par les drames qui se déroulent aujourd’hui encore au Kivu. Je me réjouis de rencontrer les Congolais.

A Uvira, la première ville congolaise de mon voyage, je me rends au port où j’aimerais prendre un bateau qui me conduise plus au sud sur le Lac Tanganyika. Je suis inquiet., à l’affût d’une rencontre qui pourrait me guider. Quand sera le prochain bateau ? Comment vais-je trouver un logement ?

Au port, je rencontre Christophe. Il est Léga, une des centaines de tribus du Congo.  Il joue de la musique à l’église kimbanguiste*. Il aime Mobutu qui l’a rendu fier d’être congolais et me fait entendre un de ses discours anticolonialistes. Trop d’éléments de sa culture me sont une énigme et, avec mes questions, j’ai le sentiment de puiser de façon maladroite dans une grande malle à trésors.

Il m’entraîne à un concert de jeunes musiciens de son quartier. Nous sommes le 1er janvier et la fête de l’an nouveau bat toujours son plein. Le concert a lieu dans une cour. Les montagnes du Kivu viennent s’effondrer à pic derrière les murs d’enceinte. Les plus vieux sont assis sur des sièges de jardin en plastique, les jeunes sur des casiers de bière, les bébés tètent le sein de leur maman.

Christophe qui me traduit les chansons du swahili* se penche vers moi pour me signaler que la prochaine, «  ça va être inoubliable ; comme une chanson de Frédéric François chez vous ».  La cour se lève et se met à danser en mimant les différents métiers épuisants qu’évoque la chanson. Les corps ondulent et chantent d’avoir pêché, ramé, maçonné, braconné… Une foule de voix, de gaieté et d’humour s’envole vers les montagnes.

Brusquement emporté par la liesse de la fête, je me sens profondément content d’être ici, au Congo, au pied du Kivu.

Le Lac Tanganyika

J’ai de la chance. Un bateau partira aujourd’hui pour Kalemie. L’heure n’est pas fixe. Il part quand on est prêt. Comme tout le monde, j’arrive à 7 heures à la grille du port, j’achète mon billet et je passe une matinée à bavarder avec ceux qui attendent.

Nous sommes abrités du soleil par un hangar construit par les Belges au temps de la colonisation. Mischkael m’assaille de questions sur la sensibilité actuelle des Belges vis-à-vis du Congo. J’emploie des formules adoucies pour ne pas le brusquer, mais je dois quand même bien l’informer que le Congo n’est pas vraiment la préoccupation majeure de mes concitoyens.

Il utilise des métaphores familiales pour m’expliquer que la Belgique devrait être plus présente afin d’aider l’enfant abandonné. Les raccourcis qu’il emploie pour faire porter la responsabilité de la situation congolaise actuelle sur la Belgique me passent par-dessus la tête. Par contre, je suis sensible à son appel pour une aide qui soit plus forte. Une demande passe par ceux qui sont affectivement en relation.

En fin de matinée, le rafiot s’ébranle avec son groupe de passagers bigarrés et glisse le long des craquelures des montagnes vertes qui descendent dans le Lac comme un reptile géant soudainement surgi de la préhistoire.

Kalemie

Dessin de Frédéric Hainaut. Jungle 2

Le rafiot nous débarque dans le port de Kalemie après 24 heures de bateau qui m’ont rendu ivre. Je bavarde depuis plus d’une journée avec mes compagnons de voyage, le militaire des FARDC* qui revient du Kivu, la maman affalée sur le sol cajolant et allaitant ses petits, le professeur, le jeune en recherche d’une affaire…

Enthousiaste, étourdi et fatigué, je prends refuge dans un petit hôtel et décide de n’en sortir que pour faire quelques courses.  C’était sans prévoir que tout ce petit monde s’était éparpillé dans la ville, racontant la présence d’un cycliste belge, multipliant de façon exponentielle la probabilité d’être interpellé.

Je me laisse entraîner avec plaisir par Richard qui m’amène là où il habite, dans la Cité d’Etat, un ensemble de villas bâties au temps de la colonisation, par « nos aiëulx », précise-t-il. Lui aussi se met à employer la métaphore familiale.

Avec ses parents et ses frères, nous nous mettons à nous étonner des manières différentes dont nous façonnons les familles : le nombre d’enfants qui, ici, dépasse fréquemment la dizaine, le mariage pour l’éternité, les (grands) parents qui continuent d’habiter avec leurs enfants tout au long de la vie.

Personne ne tente d’argumenter le meilleur des modes de vie, mais chacun manifeste de grands étonnements et de joyeuses exclamations que la vie de l’autre puisse être ainsi. Ah ! Qu’il fait bon de discuter sur les collines de Kalemie.