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Récit de voyage

Katanga (1) De Kalemie à Nyunzu

 |  Olivier Croufer |  République démocratique du Congo

Les cyclo-transporteurs

Kalémie est une ville portuaire reliée par le Lac Tanganyika au Burundi, à la Tanzanie et à la Zambie. Des bateaux y débarquent leurs marchandises qui partent par rail ou par route approvisionner les villes et les villages de l’intérieur.

Je prends la route vers Nyunzu. Il s’agit, en réalité, d’une piste qui convient aux vélos mais pratiquement impossible pour les 4X4 ou les camions. Je découvre progressivement que je suis accompagné par des centaines de cyclistes qui, comme moi, pénètrent à l’intérieur du Congo.

Au fil des conversations avec mes compagnons de route, se dessine progressivement une carte de leurs destinations. Je suis stupéfait. Ils transportent du sucre, de la farine, des casiers de bières, du mazout… Tout l’approvisionnement de l’intérieur qui n’est pas desservi par le train se fait à vélo. Ils voyagent ainsi pendant parfois des centaines de kilomètres, chargés de dizaines de kilos sur leurs bicyclettes de fortune, descendant pour pousser quand la piste devient sableuse ou la pente trop ravinée. Ils peinent, ils ont de la force, du courage.

Vers 5 heures, je m’arrête. Somme toute, j’ai bien roulé : plus de 70 kilomètres. Des habitants du village de Lukombe m’accueillent et bavardent la soirée avec moi, à côté de la tente. Ils m’ont installé à côté du Centre de santé. Inauguré en 2008, il est un des deux bâtiments en dur du village. Toutes les cases et les maisons ont été détruites, brûlées ou pillées entre 1996 et 2001. Depuis lors, il n’y a plus eu d’attaques, les villageois tentent de se rétablir. La construction du Centre de Santé s’est effectuée avec l’appui de la Communauté européenne.

La piste qui fatigue

La piste devient plus difficile. Je dois sans cesse descendre du vélo pour le pousser. Je me sens rapidement fatigué. En plus du sable et des montées devenues lits de rivières, il faut s’arrêter ou contourner les flaques d’eau.

Epuisé par ce parcours, je glisse et m’étale dans une de ces flaques rouge latérite qui barrent la route. Ma peau prend la couleur de la piste alors que mon tee-shirt vert est assorti aux hautes herbes qui la bordent.

Je me lave en peu plus loin dans une rivière, en compagnie de tous ceux qui font la pause.

J’arrive un peu tard  à la rivière de Lukuga. Il est six heures et le soleil se couche. Il faut encore traverser. J’embarque dans une pirogue en bois verdi par le temps et l’humidité. Elle me paraît précaire.

Les piroguiers clappent leur pagaie dans l’eau terreuse et leurs muscles flirtent avec la force du courant.

J’arrive de l’autre côté, au village de Niemba, la nuit tombée. Je m’endors d’un trait dans la petite tente que j’ai dressée à côté de la case de passage en compagnie d’une dizaine de cyclo-transporteurs.

Changer de rythme

Si la piste me fatigue, c’est sans doute que je la prends trop vite, trop brutalement. Je pense que je dois aller plus doucement, considérer le trajet comme une balade qui peut aussi se faire à pied, prendre le temps de bavarder avec les cyclistes.

Changer mon rythme intérieur, celui auquel les routes asphaltées m’avaient habitué depuis mon départ, me permet de passer une journée agréable. Je suis content. Le soleil est là. Je commence à connaître toute une flopée de cyclistes. Je suis surpris d’être hélé « Olivier » quand j’oublie de m’arrêter pour bavarder avec celui que je n’ai pas reconnu.

Cette piste est un condensé ambulant d’énergies circulantes et d’efforts joyeux. C’est aussi un lieu où l’on écoute les peines de l’autre.

J’arrive dans la petite ville de Nyunzu de bonne humeur. Tora prend le temps de me la faire visiter. Il a 18 ans. Il est en troisième secondaire, un bon élève, me dit-il. Il est manifestement curieux, avide d’apprendre, il aurait aimé que je lui donne un livre. Ici, le seul livre qu’il ait lu est « A nous, l’école » qui est le manuel des enfants de 6ième primaire. Il n’y a pas d’autres livres à Nyunzu. Pas de presse. Ses seules lectures sont celles du tableau noir de la classe.

Avant d’aller dormir, je vais boire une de ces précieuses limonades qui ont fait 190 kilomètres depuis Kalémie. Je suis ému par celui dont j’imagine le parcours dans cette nature difficile, sa volonté, les quelques sous qu’il ramènera à la maison pour s’en sortir.

Après quelques jours de voyage, j’ai ce beau sentiment, qu’au plus profond de moi, se façonne une amitié avec les Congolais.