De l'enfer au paradis
| Olivier Croufer | République démocratique du Congo
Une horde dans la forêt
Les sentiers villageois passent parmi les habitants et j'avais pris l'habitude de m'arrêter dans chaque village pour les salutations réciproques. Sauf à Boso-Gope que je traversai d'une traite. J'avais pénétré la forêt et la piste assez roulante constituait un tunnel dans lequel je prenais plaisir à me précipiter. Dès la sortie du village, une horde de voix s'est lancée à ma suite. Soudain triste de les laisser sans réponse, je m'arrêtai. Pressé par tant de questions, j'ai finalement décidé de passer l'après-midi puis la nuit avec eux au village.
Souffrances
Le village s'étendait sur un seul côté de la piste. L'autre côté était resté boisé. J'avais l'impression d'une sombre atmosphère. Dans cette ambiance enfermée, la foule s'est mise à se plaindre de la difficulté de s'aménager une surface habitable ou cultivable. Au lieu de la traditionnelle convocation au sein d'une constellation familiale par laquelle en tant que Belge je devenais oncle, frère ou cousin, j'étais accueilli par des paroles à mi-chemin entre le discours géopolitique et les Écritures apocalyptiques : "vous avez été nos colonisateurs, vous nous avez amené des sociétés, l'éducation, les maisons de briques, les églises ... puis vous nous avez laissés en Enfer".
"Nous coupons les arbres à la main, pas de machine pour faire les champs, pas de tôle sur le toit des cases, pas de médicaments, ... Ici, nous souffrons beaucoup."
Jeux d'eau
L'ambiance a pris les couleurs du Paradis en fin d'après-midi. Mes hôtes proposèrent de me chauffer de l'eau pour ma toilette. Je leur ai proposé d'aller plutôt à la rivière. Nous voilà partis à trois.
À l'instar des hammams, la forêt tropicale confine l'espace d'eau. Au Congo, les parois sont végétales. Le soleil profite du lit de la rivière pour descendre à hauteur d'homme. L'eau laissée vivante s'égaie des visiteurs qu'elle accueille.
Je suis plutôt pudique et mes compagnons n'en ont cure. Ils s'émerveillent des différences, de la pilosité de mon torse, de mes qualités de nageur, de la bonne odeur de mon savon qui portant mousse bien moins que le leur.
Sur le bord de la rivière, le bain se termine en s'appliquant soigneusement une crème sur la peau noire. Elle rend sensible cette membrane si perméable au travers de laquelle circule la joie ressentie à l'intérieur et gambadant à l'extérieur, abreuvée des contacts avec les autres.