Tout proche de l'amitié
Frédéric Hainaut trace ce qui, sur les pistes du Congo, l’a conduit à passer humblement vers un film d’animation
déc. 2018 | Frédéric Hainaut | Liège
Frédéric Hainaut. Congo, 2017
En juillet 2009, Olivier enfourche son vélo à son domicile situé à Liège en Belgique jusqu'à Bamako au Mali, soit un voyage d'un an, de près de 20.000km traversant une vingtaine de pays sur deux continents. Il en revient profondément bouleversé et partage avec émotion l'expérience des trois mois nécessaires à la traversée du Congo :
La traversée du Congo à vélo effraie beaucoup de cyclistes. Pourtant, en ce qui me concerne, elle aura été un événement majeur de ce deuxième voyage en Afrique à vélo.
(...) Mon passage à vélo dans des villages où les Occidentaux ne se rendaient plus depuis des années m'a donné le statut de témoin privilégié. J'ai été accueilli comme tel par des habitants qui avaient un désir immense de parler, d'écouter, d'échanger.
(…) Je suis à la merci de chaque rencontre, je me mets à pleurer pour un rien, mon corps et mon âme n'ont plus assez de consistance pour se donner des directions un peu fermes et assurées.
Tout cela peut devenir heureux pour autant que je me trouve une forme de guide interne qui me permette de prendre de nouveaux chemins.
Il repart en 2012 et en 2013 uniquement en R.D.C., toujours à vélo. Lors de ces voyages, il alimente par des cartes, des textes et des photos le site internet qu'il a conçu à cet effet. Je lui envoie des dessins qui prennent place aux côtés de ces traces. En 2014 je l'accompagne pour la première fois. Nous entrons par Uvira (Sud Kivu) à 25 kilomètres de Bujumbura où nous avons atterri la veille pour quitter la république trois mois plus tard à Kinshasa. Un voyage transversal de sable et de savane, d'effort et de sueur, de rencontres et de conversations, d'humanité et de souffrance. Une découverte à pas d'homme, les deux oreilles tendues sur un vélo. Immensité !
Début juillet 2017, nous repartons ensemble avec la ferme intention de raconter « notre » Congo sous la forme d'un film d'animation avec le postulat de partager avec sincérité nos impressions, nos observations, nos rencontres. Il ne peut s'agir d'un carnet de voyage même s'il est évident que le voyage sera tropical, nous cherchons une forme qui concilie nos regards, nos interrogations, nos sensibilités. Nous privilégions l'humain et l'affect. Sur les chemins, nous aurions voulu passer inaperçus. Impossible malgré nos efforts de discrétion. Tranquilles, feutrés, modestes, nous demandons humblement l'hospitalité dans les villages de passage pour passer la nuit. Chaque matin, après consentement, Olivier photographie nos hôtes, seules traces tangibles de notre passage, il enregistre des sons d'ambiance, nous prenons des notes dans des petits carnets, je dessine ce que je vois du quotidien. Comme les autres voyages là-bas, celui-ci est rude, exigeant, éprouvant tant émotionnellement que physiquement.
Cette fois, nous sommes entrés au Congo par Bangui, Centrafrique. Il s’agit de traverser la forêt équatoriale, deuxième poumon vert de la planète, de parcourir les savanes, de plonger au cœur géographique et humain du continent africain, d'emprunter les pistes ensablées, les sentiers escarpés, juchés sur notre bicyclette à l'instar du Congolais. Là-bas, il n'y a plus de routes, il n'y a plus d'électricité, il n'y a plus d'eau courante, les maisons sont bâties de terre crue. Les habitants manquent de tout, ils se nourrissent du labour et de l'élevage. Personne ne passe par là, personne n'investit là-bas, seules de hautes antennes de réception, élevées par les Chinois, alimentées par des groupes électrogènes bruyants et gourmands, clôturés et gardés par un homme en uniforme et armé, sont les signes récents de la modernité. Nous sommes en 2018 et je suppose qu'il en est toujours ainsi.
Malgré la détresse mais grâce au dénuement, nous aimons nous y promener, partager, écouter et raconter. Un égarement choisi, une expérience empirique. L'échange est riche par sa simplicité, pas de grands discours, une invitation à prendre place sur une assise aux côtés d'un enseignant, d'un infirmier, d'un chef coutumier, d'un paysan, en compagnie des enfants. Ils parlent français et nous pouvons nous comprendre. Une tasse d'eau, peut-être un repas, une couche. Le Blanc n'est pas oublié. Tous lui témoignent combien ils souffrent. Ils leur demandent de transmettre leurs doléances, de faire rapport aux autorités de leurs pays et d'ailleurs. Les rencontres sont chaleureuses et l'amitié toute proche. Si elle s'établit, elle reste pudique. S'engage une relation respectueuse, déférente, qui questionne la mémoire, le temps, l'asservissement à la souffrance. La question n'est pas celle de l'installation mais du passage. La précarité liée au Congo interroge avec sensibilité les conditions de vie plus difficiles, le temps plus court d’une existence. Le monde occidental s'installe, lui, avec arrogance. Exténués après sept semaines de voyage, nous nous arrêtons chez Paul qui nous offre l'hospitalité durant un mois. À l'ombre de la canopée, une trame commence à se dessiner, des fragments de textes s'échafaudent, l'écriture d'un film prend naissance au cœur du voyage.