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Récit de voyage

Nouvelles du Rwanda

 |  Olivier Croufer  |  Rwanda

Le jeune homme aux ananas

Le départ de Kabale, encore en Ouganda, est un peu triste. Le matin est enveloppé d’une fine bruine, un temps qui me transporte en Belgique. Ces allers-retours me rendent plus lourd que je ne voudrais l’être.

Dès le passage de la frontière avec le Rwanda, le ciel s’ouvre et je découvre une vallée engloutie dans les collines. La lumière colorie d’un vert spécifique chacun des petits carrés de culture en terrasses. Le vélo serpente la vallée, au milieu des arbres à thé qui ont le vert le plus vif.

La route se met à grimper. Un jeune homme et son chargement d’ananas me rattrapent. Des ananas qui sentent bon, dans un panier en osier à l’arrière du vélo, quelques-uns pendouillent sur les côtés du porte-bagages. Un garçon rieur, qui sourit pour m’attendre sur les replats quand il va plus vite que moi. Il perle des gouttes translucides sur sa belle peau noire restée mate alors que je l’attends dans les parties les plus grimpantes. Son vélo n’a pas de dérailleur.

Quel âge a-t-il ? Quinze ans ? Quand est-il né par rapport à la tragédie de 1994 ? A-t-il des parents ? Il a l’air de s’accrocher à moi comme à un oncle. En tout cas, il a un vrai fond de gaieté, il ne se plaindra pas.

Au sommet, Alphonse me fait signe de m’approcher. Il décroche un ananas, le pèle et le découpe en deux, trois coups de machette. Il me tend les morceaux avec un sourire et des yeux qui respirent le plaisir de donner. Il aurait aimé poursuivre le trajet avec moi. Ce n’est pas possible. Cet ananas est délicieux.

Kigali à toutes voiles

A la surprise d’un virage, je découvre parmi les collines les immeubles de Kigali dont les plus hauts semblent plantés pour prendre le vent. La ville a de la force. Le bâti prolonge en douceur l’ordonnancement des cultures en terrasses. Le Rwanda est, de tout côté, agricole. La ville fait transition, sans brutalité me semble-t-il. Là, des poussées immobilières plus vives que portent les réseaux bancaires, les activités commerciales ou le déploiement des ONG.

Je sens que la ville a ses plans, qu’elle respire de projets et, d’emblée, je m’y sens bien. Mon  être est envahi par une estime et un étonnement pour ses habitants. J’ai envie de les rencontrer.

Euphrasie me raconte son histoire dans une ONG, elle me raconte sa force. Le Rwanda a changé depuis 1995 où elle recueillait des enfants dans un camp. L’urgence et l’assistance servaient de guide. J’ai pourtant la conviction qu’il y avait, déjà, en elle, une manière de s’entretenir avec ces enfants qui allaient plus loin que les nécessités immédiates. Elle leur faisait confiance, elle les écoutait, elle partait, avec eux, à la recherche d’une famille.  

Aujourd’hui encore, elle cherche à relier des personnes souffrant de détresses multiples – femmes victimes de violences, prostituées, toxicomanes, enfants chefs de ménages …- aux autres membres de la communauté. Avec la force tranquille qui s’impose à ceux qui ont l’intuition de la paix, elle va sur les collines, rassemble les personnes, les associations et les autorités. Elle sait que pour aller là-bas où elle veut aller, il faut avancer au-delà de ses peurs et de ses préjugés.

Je passe un Noël empli de ces histoires et j’ai vraiment de l’enthousiasme pour poursuivre le voyage.

Densité

Je quitte Kigali en empruntant une route secondaire très peu fréquentée. Je suis content de reprendre le vélo après quelques jours de repos. Je me donne de l’élan, je monte et je descends à travers les collines. Mes sentiments s’embrouillent entre le plaisir du vélo et les souvenirs qu’évoquent les marais où se réfugiaient les victimes du génocide pour s’y cacher. Le vélo plonge dedans puis remonte de l’autre côté. La vitesse emporte le tout, je veux avancer.

Chaque pays africain a ses défis particuliers. Le Rwanda doit se développer sur des terres très occupées, les plus densément peuplées d’Afrique. Pratiquement chaque pan de colline est cultivé et le travail agricole occupe la plupart de la population (80 % des adultes). Souvent, la surface agricole est insuffisante pour nourrir correctement la famille. Dans de telles conditions, il est difficile de générer des revenus pour améliorer globalement sa situation, pour se soigner, pour éduquer les enfants.

Le Rwanda est souvent bien côté pour la qualité du développement qu’il met en place. Je m’émeus du courage prospectif qu’il faut avoir ici pour avancer. Entre 2001 et 2006, le taux de pauvreté a diminué, de 60 % à 57 % de la population. Mais celle-ci a augmenté à tel point que le Rwanda se retrouve avec 600 000 pauvres en plus. Cela signifie, en autre, que 28 % des ménages vivent dans l’insécurité alimentaire.

Ce soir, dans la tente, je lis le rapport du Programme des Nations Unies sur le Développement sur le Rwanda. Pour répondre au défi de l’agriculture, il faudrait investir beaucoup plus qu’aujourd’hui (dans l’utilisation de fertilisant, de l’outillage, dans l’irrigation…).

Pour ces investissements, comme pour d’autres, le Rwanda ne peut compter sur ses propres revenus : vu la pauvreté de la population, sa base taxatrice est limitée et les revenus de l’exportation sont faibles (pas de mines, pas de pétrole…). L’aide extérieure est fondamentale.

Les petites gouttes de pluie font frémir le toit de la tente. J’ai fait 140 kilomètres de mille collines aujourd’hui, je suis vraiment fatigué.