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Récit de voyage

Les plis du sud de l'Ethiopie

 |  Olivier Croufer  |  Ethiopie

Le voyage comme assemblage de fragments

En cours de voyage, des bouts de chemin se dessinent, des enveloppes de paysages se déploient autour du vélo qui avance. 

Je ne rencontre que des fragments très locaux.

Le vélo trace un mince filament sur la surface de la Terre. Il relie les éléments dans un assemblage parfois curieux.

Alors il se produit des sauts, des variations, des tensions et des rapports de force.

Dans les plis du paysage

 

Après la longue descente au sud d’Addis Abeba, je grimpe et je descends sur une Terre à nouveau plissée.

Je saute gaiement d’un escarpement à l’autre. La végétation est abondante et fruitière. Je me repose avec des jus de fruits fraîchement cueillis. J’aime la pulpe d’avocat dissoute avec un peu de jus d’ananas, servie dans une grande chope accompagnée d’un demi-citron vert.

Jeudi 5 novembre. Toujours plus au Sud, après Agere Maryam, je descends dans une vaste plaine. Le paysage passe à l’infini et se dénude progressivement. La surface de la Terre se dessèche, ombragée par-ci par-là grâce à des parasols d’acacias.

Le vent souffle dans les couleurs rayonnantes des pagnes dont sont drapés les hommes qui gardent leurs troupeaux, une lance à la main.

Quelques jours, quelques centaines de kilomètres et des contrastes étourdissants. Des images de la moderne Addis Abeba me viennent à l’esprit. Elles viennent s’adosser à celles de ces paysans utilisant la serpette comme outil agricole.

A la vitesse du cycliste, ces variations superficielles agrémentent le plaisir de la découverte. C’est sur les tensions sociales au cœur de ces écarts qu’il aurait fallu s’arrêter.

Escale auprès de Wayu

Wayu traîne dans les rues en attendant les résultats des examens d’admission aux études supérieures qu’il souhaiterait entreprendre. Je le sens en transit.

Le père de Wayu est paysan. Le labeur agricole est partagé en famille. Je demande à Wayu s’il aime travailler dans les champs et il se met à rire. Ma question a dû exhumer un monde délicieusement anachronique. «  C’est absolument ennuyeux, dit-il. Tu retournes la terre en suivant un bœuf et son araire. Nos outils sont tout à fait dépassés. » Il fait une pause dans son récit puis reprend dans un fou rire que je me mets à partager. «  Puis tu attends la pluie. Si elle ne vient pas, tu as fait tout cela pour rien. »

Wayu glisse sur la réalité avec lucidité. Il veut rester dans son village, pourtant cerné par les problèmes de désertification. L’école lui a donné une bonne éducation. Il aimerait travailler dans l’administration. Là, il espère contribuer à améliorer les infrastructures. Il a des idées d’industries.

Dans son regard qui s’évade par l’embrasure de la fenêtre, je sens Wayu voyager dans les étendues de sa solitude.  Je sens flotter le lointain un peu flou et incertain dont il me parle. J’aime la gravité de sa voix.

Le soleil s’est couché et je ne prends conscience de la pénombre que lorsque les guirlandes lumineuses du bar se mettent à clignoter.  En même temps, les lanternes des échoppes qui parsèment, par-ci par-là, la rue principale s’allument. Il en va ainsi tous les soirs, de 19 heures à 22 heures, quand la petite ville de Méga se branche sur le réseau électrique.