L’ascension du Mont Kenya
J’ai délaissé le vélo à plusieurs reprises ces dernières semaines. L’écriture de ce voyage, également.
De Moyale, à la frontière kenyane, j’ai pris le bus pour traverser les déserts du nord du pays. La piste me paraissait trop difficile, pleine de cailloux, en plus avec une réputation d’être parfois coupée par des bandits.
J’ai mis la bicyclette de côté pour grimper au Mont Kenya.
J’ai été soufflé par la vitesse de l’ascension. En quelques heures, ou quelques jours, le temps étant de toute façon contracté, j’ai traversé une zone tropicale humide, des forêts denses de bambous, des décors de haute altitude de plus en plus minéraux, des vallées de séneçons géants (des espèces de plantes d’intérieur à grandes feuilles vertes empotées sur des troncs éparpillés).
J’ai grimpé sur un sommet à 4985 mètres d’altitude, je me suis essoufflé à moins dix degrés aux abords de la neige, j’ai posé le regard à 320 kilomètres vers le Kilimandjaro qui s’allume au lever du soleil orange.
Tout cela provoque une densité intérieure, une contraction chaude et froide en même temps. Et finalement, dans la descente, le corps s’est relâché et je suis devenu pour longtemps très épuisé.
Flotter dans les transitions
Encore une fois, j’ai laissé le vélo pour faire un tour des parcs kenyans avec mes tendres et vieux parents venus me rendre visite.
Ce voyage se déroule à une vitesse qui me bouscule. J’essaie de me débrouiller avec les transitions. Parfois celles-ci deviennent des micro-fractures qui viennent s’éparpiller on ne sait où. Alors il faut quand même avancer, rouler, faire confiance en la route, celle qui nous appelle et que l’on entend dans le lointain.
Ce matin, je reste emmitouflé dans les immenses paysages kenyans qui se jettent dans le bleu azur où s’envolent les nuages blancs. Ces espaces ouverts que j’aime tant car ils m’entraînent dans leurs mouvements se sont peuplés, ces derniers jours, d’animaux inhabituels, de lionnes, de guépards, de gnous, d’éléphants, de rhinocéros… Ils arrivent comme des surprises et des merveilles qu’il faut tout de suite quitter à l’instar des milles rencontres de ce voyage.
Ce matin, je me dis qu’il faudra que je troque les luxueux lodges des parcs kenyans pour ma tente et le choix des longs buffets pour les gargotes des bords de route.
La boîte métallique
Alors, j’ouvre la boîte métallique à l’effigie d’une marque liégeoise de cigares depuis longtemps disparue et sur laquelle est imprimée une photo du marché dominical sur les quais de la Meuse. Ma mère y a soigneusement déposé quelques barres de chocolat belge. Je fais une pause dans la montée qui me conduit vers les escarpements de la Rift Valley et je fracture avec précaution un morceau d’un bâton de chocolat.
Je me dis que c’est peut-être en construisant en soi une douceur dans ces changements de rythme que l’on apprend à vivre tranquillement la diversité du monde.