Des fragments dans le vent
J’arrive à Dori, au Burkina Faso, rincé par le vent, fatigué et content de retrouver cette petite ville limitrophe du Niger où je suis passé cinq années auparavant. C’était déjà à bicyclette.
En solitaire sur le vélo, on ne cesse de faire défiler le voyage, les pensées assemblent machinalement des moments, et c’est comme si notre corps nous offrait un deuxième ou troisième voyage dans celui qu’on est train de tracer.
Dori marque le début d’un tronçon rempli d’étonnements. Aux images qui arrivent avec la bande de latérite sur laquelle vagabonde le vélo fourbu sont venus se mêler les souvenirs du voyage précédent sur la même piste, mélangés à des morceaux d’histoire de ce parcours en Afrique qui va vers sa fin.
Des fragments du Congo me reviennent ainsi tous les jours. On dirait un bout de la Terre qui a un besoin incompressible de parler. Il me donne du souci, mais je l’aime bien.
Des lignes de piste
Un goudron tout neuf arrive maintenant à Dori. Il amène les mangues du sud du pays que l’on retrouve en tas jaune orangé équilibrés aux quatre coins de la petite ville. Je m’étonnais cinq ans auparavant que tous ces fruits ne parviennent pas jusqu’ici alors que la faim courait les rues et que les enfants bondissaient sur les restes des assiettes de riz devant les gargotes en tôle. Aujourd’hui, le marché a ses légumes, j’ai pu boire un yaourt local bien frais, les gens me disent que la vie s’améliore. Que je suis content d’entendre cela.
Sur ces pistes de latérite qui m’ont conduit jusque Bamako ont surgi les poteaux d’électrification, les puits se sont équipés de pompes à eau, parfois solaires, j’ai vu des tracteurs remplacer par-ci par-là les araires tirés par les zébus.
Sans cesse, mes pensées retournent au Congo, aux bidons d’eau que j’allais remplir dans les sources à ciel ouvert et les rivières. Où ai-je vu une pompe à eau dans un village ? L’appel des Congolais pour qu’on vienne leur donner un coup de main continue de me bouleverser.
Couleur latérite
Ici, les hommes et les femmes parlent de leurs projets, du bassin de pisciculture que l’on a construit avec d’autres habitants du village, des naissances que l’on souhaite espacer pour donner une meilleure éducation à ses enfants. Les aventures collectives qui tournent bien donnent une belle couleur à la vie, un rouge ocre chaleureux comme la piste qui trace dans les pousses vertes et fraîches du début de la saison des pluies.
Je suis content en arrivant à Bamako. Hier j’ai passé ma dernière nuit sous les étoiles. Seul.