Sur le chemin de terre qui passe dans les villages enfilés le long du Nil, des ribambelles de gosses s’accrochent à la traîne du vélo. Elle s’effiloche en même temps que s’évanouit, loin derrière, la clameur de leurs appels. La population en bordure du fleuve est trop dense pour un bivouac tranquille.
Je bifurque sur un sentier de terre qui s’éloigne du Nil à travers les champs de canne à sucre et de maïs. Quelques tours de pédale et les bras ouverts d’Abdelaz arrêtent la journée de vélo.
Sur les nattes devant la maison parmi quatre générations d’une même famille, je romps le jeûne du ramadan dans un repas de fête.
Dans la chambre offerte par Abdelaz, trois lits, des murs vierges, un sol en terre, une table, deux coquillages, pas d’accumulation. La richesse est la présence donnée à l’autre.
La traversée du lac Nasser …
Un bateau fait chaque semaine la liaison entre les deux bouts du lac Nasser, la rive égyptienne au barrage d’Assouan et le port de Wadi Halfa au Soudan.
Le vélo a été embarqué parmi les cageots de tomates, les écrans plasma, les antennes satellites, les refroidisseurs d’eau et une suite innombrable de caisses éparpillées par des porteurs effervescents dans tous les recoins du bateau.
Alors que cet assemblage de bric et de broc s’ébranle sur le lac, chacun s’affale, le corps de l’un s’allonge sur une banquette, un autre s’aménage un abri ombragé sous un canot de sauvetage.
Le pont supérieur est tapissé de nattes et de morceaux de caisses de carton sur lesquelles on s’endort. Les corps investissent le sol.
Pas de place établie à l’avance. On s’arrange au gré des circonstances avec des voisins avec lesquels on bavarde sur les raisons du voyage.
… la détente des corps
L’ordre est resté à quai. Le bateau est vivant grâce à la créativité d’assemblages bricolés.
Il souffle sur cette embarcation un vent de détente qui m’entraîne avec lui. Les contacts deviennent plus immédiats, comme si les amarres qui les retenaient étaient restées sur la rive.
J’aime aussi ces corps exposés au vent qui se relâchent sur le pont. J’aime les corps qui suent dans la chaleur de fer des entrailles du bateau.
Je sens qu’il y a besoin de tous ces éléments d’alchimie pour que l’assemblage fonctionne, lui donne sa beauté, me pousse vers une Afrique que j’aime.