La nouvelle route goudronnée trace dans le désert à quelques centaines de mètres du Nil. Le lent chemin villageois longe le fleuve, entre la palmeraie et les villages. Le vélo hésite.
Le long du Nil, j’accompagne la coulée d’eau et son enveloppe de silence. Les villages s’enfilent sobrement le long du fleuve et viennent se déposer sur le parcours comme des perles qui rafraîchissent un instant la peau chauffée par le soleil. Une dame brosse avec soin l’esplanade de terre devant sa maison. Un vieillard se repose à l’abri du soleil dans la maisonnette où les jarres d’eau fraîche attendent le voyageur.
Le chemin villageois est un répit. La route d’asphalte qui tranche dans le désert conduit mon corps trop loin vers son affaissement. La chaleur est forte. Je n’éprouve plus de tension, même pour m’alimenter.
L’apaisement d’un village silencieux
Le soir, un sourd-muet m’invite à me baigner dans le Nil, ce dont je rêvais depuis plusieurs jours.
Nous traversons la palmeraie et il m’indique un endroit où je peux descendre dans le fleuve. Les berges du Nil sont hautes de plusieurs mètres et s’étagent en paliers de limon et d’argile charriés par les crues depuis les montagnes d’Ethiopie. Je descends jusqu’à la première marche submergée.
J’aimerais aller plus loin, mais le fleuve est puissant et invite spontanément à la prudence. Mon guide silencieux me signe amicalement que je peux descendre encore un peu.
Le crac
Je me réveille comme ces derniers jours, sans force, sans appétit. J’emprunte la route qui délaisse le Nil pour rejoindre directement Khartoum à travers le désert. Je pédale sans entrain. Mon dérailleur patine. Ma chaîne vient à casser.
La chaleur grimpe et je ne profite plus du désert que j’aime tant. J’ai la nausée. Je m’arrête en bord de route. Mes entrailles lâchent leurs eaux. Je deviens un effluve de chaleur qui se dissipe dans l’infini. Le désert m’a attrapé, presque gobé.
Il est 14 heures 30 et il est impossible de s’arrêter au milieu du soleil. Je remonte sur ma bicyclette, je me dis que je suis capable de rouler doucement jusqu’au soir. Puis arrive le moment de soulagement où le soleil tombé de son zénith vient buter contre une dune. Celle-ci me tend son plateau d’ombre comme un cadeau posé sur le sable. Je me laisse glisser sur les grains soyeux encore chauds mais ombragés. Je m’apaise, je respire.
Je profite avec bonheur de la lente descente du soleil. Je ressens toute la fragilité et la modestie de ma présence sur cette étendue. Je jouis intensément des quelques forces qu’il me reste. Je les sens puissantes. Elles vont durer.