On me demande souvent pour quelles raisons ai-je choisi de faire ce voyage en vélo et si ce moyen de transport induisait quelque chose de singulier.
J’ai le sentiment que le vélo entraîne un rapport tout à fait spécifique à la vitesse et la lenteur.
Le vélo colle aux paysages. Il est lent. Il n’autorise ni survol, ni discontinuité. Cette lenteur est celle du contact des pneus sur la bande d’asphalte, de l’attachement du chemin avec le paysage qui l’enveloppe, de la pause accolée auprès de ceux qui restent en bord de route.
Et en même temps, le vélo impose un rythme ressenti comme une vitesse. Le temps est toujours celui de la traversée et quand on s’arrête, c’est pour repartir prochainement.
Bien sûr, un tel voyage permet de comprendre quelques traits des personnes et des cultures qu’on rencontre. Cela est important. Mais, pour moi, l’apport du voyage à vélo est encore ailleurs.
La vitesse du voyage nous entraîne dans un diagramme de contacts fragmentaires avec des bribes de paysages, de cultures et d’histoires qui défilent en même temps que le vélo poursuit sa course. Le voyage à bicyclette déconstruit notre rapport au monde, il le morcelle, il façonne une Terre en mille morceaux.
Une telle expérience a son danger, d’ailleurs contemporain du monde éparpillé d’aujourd’hui. Cette menace est de devenir soi-même chaos, d’être défait, las et perdu.
En même temps, le fil lent de ces moments esquisse un défi singulier éminemment actuel. Cette expérience est une possibilité extraordinaire d’apprendre à circuler sur un corps de la Terre fragmenté et de s’inventer une manière d’être qui permette d’y naviguer.
Je pressens que la recherche de cette manière d’être est la joie la plus intime de mon voyage.