Le désir coule toujours dans un paysage. Il emprunte des canaux qui rassurent, tels les longs couloirs de la forêt tropicale, ou s’ouvre à l’infini sur des étendues désertiques.
J’aime les paysages qui troublent au point de sentir que là se fait la vie. Ces paysages m’entraînent dans des turbulences qui semblent s’enclencher selon des conditions analogues. 1. L’espace traversé est ouvert et s’étale à perte de vue. 2. Des éléments de la nature manifestent leur puissance (le souffle du vent, la chaleur et la lumière du soleil…). 3. Les contacts sont raréfiés. 4. Peut-être que la couleur a un impact : l’or des blés coupés d’Anatolie, le gris blanchi par la lumière des regs sahariens, les explosions de verts des montagnes éthiopiennes, l’ocre annonçant la latérite en bordure du Sahel.
Ces paysages font perdre progressivement toute coordonnée. Le vent souffle, le soleil amène son incandescence, et voici le corps qui vacille et se dissipe sur l’étendue. Ou bien, les variations de verts font valser le rythme des pédales.
J’aime cette sensation d’être perdu dans le paysage. C’est peut-être comme cela qu’il faut y aller pour habiter le monde : désorienté et ouvert à tout vent.
Je me demande si ce n’est pas dans ces paysages que se forment les désirs, quand ils échappent aux organisations qui les sédimentent, aux fonctions et aux hiérarchies qui les stratifient.
Le désir naîtrait alors d’une expérimentation qui glisserait doucement à la surface de la Terre, en évitant les blocs et les rocs. Il tirerait sa force de paysages ouverts et dépouillés, circulerait parmi des particules évanouissantes, tracerait des lignes fines et singulières, légères et nomades, émergeants par enchantement.